Arrivée à l'improviste

Sullivan faisait son tour de grade près des grilles. Depuis longtemps, il n’avait pas semblé aussi joyeux. Chantonnant la chanson ‘I’m a believer’, il devait avoir l’air d’un parfait idiot… mais un idiot heureux. Il avait toujours deux longues coutures au bras droit qu’il cachait sans cesse à tout le monde, mais aujourd’hui, il ne se rendait même pas compte qu’elles étaient un peu visibles. Il faisait chaud et Sully en avait marre de mettre des chandails avec de longues manches. Sauf que là, avec des manches trois quarts, on voyait les coutures à son bras droit… Néanmoins, le vent n’était pas assez froid pour que Sullivan mette une veste. Il y avait pire que cela au Canada!
Alors que le surveillant chantonnant toujours sa chanson, il entendit une voix féminine de l’autre côté de la grille. On l’interpellait. Se retournant, il s’approcha de la grille qui permettait désormais d’entrer, mais jamais de sortir. Une nouvelle orpheline? Fort possible. S’approchant de la grille, il l’ouvrit en appuyant sur quelques touches sur une sorte d’intercom [y a un autre mot, pour ça? ^^’ ].
La grille s’ouvrit, laissant un passage juste assez grand pour laisser entrer Kyhara.

« À votre place, par contre, je n’entrerais même pas ici… » fit-il, tout simplement, de sa voix qui possédait encore un très fort accent anglais.

Si Kyhara était une nouvelle orpheline, elle pourrait partir, sinon… elle finirait comme les autres. Sullivan doutait qu’elle soit autre chose que cela. Elle semblait vieille, mais toutes les orphelines avaient plus de 16 ans, ici! Les plus jeunes devaient en avoir 17…

« Vous êtes une nouvelle orpheline? » demanda-t-il, curieux, même s’il se doutait que la réponse serait ‘oui’. Ça ne pouvait pas être autre chose que cela!

Sully observa un moment cette nouvelle arrivante. Elle était belle. Pas de chance. Enfin, Sullivan songeait qu’elle aurait beaucoup de problème à cause de cela, non pas qu’il lui souhaitait d’être laide quand même! Néanmoins, elle aurait des problèmes avec les violeurs, c’était certain. Cette pensée le fit soupirer. Enfin, elle semblait sûre d’elle-même, cela lui sauverait peut-être la vie vu que bien des hommes commençaient à apprécier les orphelines soumises. Beaucoup l’étaient, à présent, de toute façon. Toutes finissaient par lentement être brisées… Même Sullivan en avait prit un coup moralement suite à la torture de Gin. Il était plus méfiant que jamais et un peu moins bavard. Et dire qu’aucun autre homme n’avait subit ce genre de chose… c’était humiliant d’être le seul… Chose certaine, cette jeune femme en face de lui aurait mieux fait de porter autre chose qu’une mini-jupe. C’était vraiment très joli, très attirant, mais cela ne l’aiderait pas, ici!

Journaliste? Avait-il bien entendu? Pendant un instant, il eut envie de se sauver en courant, même s’il ne le pouvait toujours pas à cause de sa blessure juste sous le nombril, elle aussi cousue. Sully se mit à songer qu’il n’aurait pas dû ouvrir la grille. Oh non, il n’aurait pas dû, mais il ne pouvait pas non plus la laisser partir, à présent. Se serait louche… trop louche. Mais la faire rester, se serait de se mettre lui-même en péril, tout comme elle. Si le directeur apprenait qu’une journaliste était entrée ici, on la torturerait jusqu’à mort… tout comme lui pour sa grosse gaffe… Bien qu’en même temps, on pourrait enfin dévoiler dans les journaux les atrocités qui se passaient ici… tout prendrait fin… Il serait tellement simple à Sully de passer les cassettes d’enregistrement des salles de torture! Il y aurait de quoi faire un scandale et faire sortir toutes les orphelines d’ici… seulement, il faudrait que cette journaliste reste prudente.

« Pour commencer, je ne veux ni vous nuire, ni me nuire à moi-même. J’ai déjà assez de problèmes comme ça. N’allez jamais, mais au grand jamais répéter que vous êtes une journaliste à qui que se soit. Pas même aux orphelines. N’interviewez personne du personnel et encore moins le directeur ou le sous-directeur… Vous avez de la chance d’être tombé sur moi, puisque je ne suis pas comme la plupart des autres hommes qui sont ici. Je n’aurais aucun mal à répondre à vos questions, mais je me suis déjà mis énormément dans le trouble si on découvre que vous journaliste et que c’est moi qui vous fais entrer. »

Il avait peur pour lui-même, en sachant très bien que Gin pourrait être encore plus atroce avec lui s’il venait qu’à apprendre ce qu’il avait fait… après tout, il avait eu droit à une séance de torture gratuite simplement pour avoir insulté quelqu’un! Quelle idiotie… il en aurait des marques toutes sa vie… Sullivan se mit à espérer que cette journaliste ne lui poserait aucune question à propos de son bras. Il était un trop mauvais menteur pour simplement inventer une demi-vérité…

« Arrangez-vous pour ne pas me causer des problèmes… ou encore de vous faire démasquer. Vous pouvez rester si cela vous amuse, mais personne ne pourra vous faire sortir... »

Le jeune homme semblait stupéfait et troublé mais il répondit posément, avec des mots choisis. Son expression était grave et ses mots avaient tout l'air d'être une mise en garde. Kyhara fut surprise, elle ne s'attendait pas à cela. Mais cela ne fit que lui donner envie de continuer, pour autant qu'elle ne cause pas d'ennuis à son interlocuteur, qui semblait si effrayé à ce qu'on apprenne que c'est lui qui l'avait faite entrer.

- Eh bien ! Vous avez le don d'aiguiser ma curiosité ! répondit-elle toujours avec le sourire. Je ne vois pas en quoi une journaliste telle que moi pourrait importuner un orphelinat… D'ailleurs, j'ai un article à écrire et je compte bien mener à bout ma mission. N'ayez aucune crainte pour moi, je saurai me débrouiller, je suis une grande fille ! Et pour ce qui est de vous, disons que la grille était ouverte, et que vous ne m'avez pas vue.

* Je ne comprends toujours pas pourquoi il a si peur qu'on apprenne que je suis journaliste. Mais je ne tiens pas à lui causer des problèmes. *

Kyhara se demandait ce qui se tramait derrière cette vérité à demi masquée. Son attitude était des plus inquiétantes. Mais elle irait jusqu'au bout. Quelques jeunes femmes et un directeur, c'était loin de l'effrayer, elle avait eu affaire à pire. Et ce n'était pas l'homme en face d'elle qui allait l'arrêter…

- Ah oui ! J'allais oublier… Je n'ai pas pensé à vous demander votre nom, ni la fonction que vous occupez ici. Qu'en est-il ?

D'un sourire, elle essayait d'engager l'homme à lui faire confiance. En attendant sa réponse, elle sortit son carnet et un stylo, outil indispensable d'une journaliste. Elle se dit qu'ensuite elle se rendrait au bureau du directeur, dans l'espoir qu'il lui parle de ses nouvelles responsabilités, du contact qu'il a avec les orphelines, de ses choix pour leur avenir, du personnel qu'il a engagé, etc… Les questions se mettaient gentiment en place dans sa tête, elle avait l'habitude des interviews qui consistaient l'essentiel de son travail. Puis elle lui demanderait l'autorisation pour discuter avec les orphelines, et peut-être même pour passer plusieurs jours au manoir, mais cela restait à voir…

* Peut-être est-il plus sage de s'adresser directement à lui. Il est toujours préférable de demander la permission au supérieur avant d'interviewer les gens d'un établissement. Ce genre de personne n'aime pas qu'on agisse dans leur dos. Autant se faire bien voir tout de suite…*

Quel idiot il faisait! Il l’envoyait pratiquement dans la gueule du loup à poquer la curiosité de celle-ci. Devrait-il aller chercher les vidéos des salles de torture pour la dissuader de trop jouer la curieuse? De faire exprès de s’habiller ainsi, même si elle était très mignonne dans cette petite jupe? Il ne pouvait quand même pas la laisser se mettre dans le trouble! Sully avait beau vouloir être gentil avec cette jeune femme, mais bon sang qu’elle lui tombait sur les nerfs! À croire qu’elle ne voulait pas comprendre que c’était dangereux ici… N’était-il donc pas assez clair?!

« You don’t understand anything… » fit-il en anglais, ne sachant pas comment le dire en français.

Non, elle ne comprenait rien. Elle ne comprenait pas ses avertissements. Ne voyait-elle donc pas la caméra, non loin de la grille? Celle-ci, heureusement, ne captait aucun son, mais c’était suffisant pour qu’on sache qui l’avait fait entrer si on découvrait qu’elle n’était pas une orpheline, mais une journaliste!

« À votre droite, il y a une caméra qui nous filme… si on regarde cette vidéo, on saura que c’est moi qui vous ai ouvert. Je ne donne pas plus cher de ma peau que de la vôtre si vous aller bavasser que vous êtes journaliste. Je veux bien vous aider parce que j’en ai marre de ce qui se trame ici, mais pas pour me mettre dans un plus sale état que maintenant. » dit-il, montrant les deux longues coutures à son bras droit. « Faudra-t-il que je vous montre les vidéos de ce qui se passe ici pour que vous compreniez et que vous vous taisiez, autant pour vous sauver la vie que la mienne? »

Elle comprendrait peut-être mieux ainsi et elle aurait de quoi pondre un article. Son nom? Sa fonction? Cela ne servait à rien de cacher cela… Ce ne serait pas lui qui aurait des ennuis, si Kyhara réussissait à faire son article. Il n’avait jamais fait de mal aux orphelines. Même pas quand il se saoulait pour oublier sa peine!

« Sullivan MacReady, surveillant. »

Prononçant son nom en anglais, comme à son habitude, Sully soupira. Il trouvait une sorte de vengeance, en laissant une journaliste ici, contre Gin, son tortionnaire. Il avait peur, mais en même temps, il était heureux. Si tout pouvait s’arrêter grâce à une journaliste, ce serait merveilleux!

Quand le jeune homme à l'accent anglais lui dit qu'elle ne comprenait rien, elle sentit un accès de colère monter en elle, mais elle continua à l'écouter patiemment. Quand il eut fini, elle poussa un soupir d'énervement. Elle avait continuellement affaire dans son métier à des gens qui essayaient de la dissuader de faire son travail, le plus souvent parce qu'ils avaient quelque chose à cacher. Mais Kyhara était coriace. Elle irait jusqu'au bout, et ce n'était pas de cette manière qu'il arriverait à l'arrêter. Elle lui répondit très sèchement:

- Soit. Une caméra nous filme. Et on saura que c'est vous qui m'avez ouvert. Mais si aucun micro n'est dissimulé, on pourra croire que je vous ai dit que j'étais une orpheline comme les autres, que je vous ai bien berné, et vous n'aurez donc pas d'ennuis. Je ne comprends effectivement pas pourquoi une journaliste serait mal venue dans un orphelinat de jeunes filles! Par contre, je remarque que vous tentez de m'empêcher de faire mon boulot, et que si je n'ai pas cet article pour la semaine prochaine, je vais me prendre une raclée de ma patronne! Maintenant à moins que vous ayez des aveux à me faire, je m'en vais de ce pas chercher une autorité plus compétente, de plus que je commence sérieusement à avoir froid.

Elle avait élevé le ton sur la fin de sa tirade, sans pour autant hurler. Elle lui jeta un dernier regard, et, sans même attendre qu'il lui réponde, fila en direction du manoir. Elle cria en vitesse derrière elle :

- Enchantée !!!

*C'est incroyable, il faut toujours que ça se termine comme ça ! J'arrive gentiment avec le sourire, mais non, ça ne marche pas, on me rembarre, et je suis obligée de m'énerver pour arriver à mes fins. A croire qu'il est jaloux du directeur! Il fait tout pour m'éviter de le rencontrer. Et puis il essaie d'insinuer qu'il se passe ici des choses sordides, qu'il se trame quelque chose dans l'ombre, blablabla… Il est mignon, mais il me tape sur le système ce mec !*

Malgré son état d'état d'exaspération, elle se dit que l'attitude du jeune homme était bizarre. Elle n'était pas effrayée, mais une petite boule dans son ventre s'était formée. Elle tenta de se persuader que ce n'était qu'un peu de stress parce que sa mission ne se passait pas comme elle avait prévu. S'il se passait quelque chose de réellement anormal, elle le découvrirait, et en ferait part à la police. Mais pourquoi mettait-il donc tant d'énergie à la persuader de se faire discrète? Elle commençait à douter d'elle-même… Avait-elle bien fait de s'obstiner? Elle se rassura en se disant qu'au pire des cas, elle pourrait enfin mettre en pratique ses dix leçons de self défense…

[HJ : terminé]