Marche

Elle était en fuite. Elle essayait d'échapper aux dents aiguisés du chasseur sur sa proie, de la mort imminente...Elle fuyait un des gardes qui était malheureusement très résistant. Aucune pensée ne parvenait dans son esprit, sa tête était complètement vide, la survie étant sa principale préoccupation.

Dans la nuit à peine éclairée par des lucioles, les feuilles mortes tourbillonnaient à chaque pas. Les brindilles fouettaient le visage d'Adeline, tandis qu'elle avait accouru essoufflée, dans ce bois malicieux qu'elle n'avait jamais osé parcourir la nuit tombée. Elle courrait et courrait, son coeur battant à cent à l'heure, sans même se retourner. Bien que forte d'apparence, elle n'aimait pas se sentir coursée, devenir cette proie facile et sans défense.

Et puis, POUF. Elle tomba de tout son long. Adeline avait heurté une espèce de chose raide. La tête enfouie sous le tas de feuilles, et les mains à plat...elle ne se releva pas, mais resta dans cette position incongrue.

"................................"

Cette fameuse chose qu'elle venait de heurter était le pied d'un jeune homme d'environ 25 ans, qui semblait plus méditer que jouer à effrayer les orphelines du coin. A vrai dire, elle n'osait se relever, préférant la tactique de l'autruche que celle du lion...

* Et comme ça, tu sentiras la puanteur de mon cadavre en décomposition pendant que mon esprit te hantera jusqu'à la fin de tes jours ! Ingrat va ! *

Même celui-là n'avait aucune pitié pour une pauvre orpheline tombée juste à ses pieds. Il ne daigna même pas lever le moindre petit doigt, se contentant juste de lancer ses paroles acerbes dont l'ironie était maître du ton employé. D'un côté, elle n'en attendait pas moins. Adeline était tombée sur un garde comme un autre -à moins qu'il fasse un autre métier mais bon-, dont la générosité de coeur rivalisait avec celle de la solidarité sur l'échelle de Richter. C'est-à-dire 0. Et 1 dans les bons jours...

Alors, elle décida tout simplement de feindre l'évanouissement. Elle ne répondit rien, même si l'envie la mangeait de l'intérieur. Et puis, au pire s'il voudrait également la torturer, elle se réveillerait soudain de sa fausse torpeur et lui placerait un coup bien placé.
Puis, le crôassement d'un groupe de corbeau suffit à faire fuir quelques insectes, sur une branche pourrie prête à s'écraser au sol.
Puis, la langue longue d'un mètre de ce caméléon atteignit sa cible en un Flap humide et distrayant.

A cet instant, on aurait dit qu'Adeline semblait morte, dénuée de vie, son corps ne bougeait vraiment plus. Habituée à ce genre de camouflage, elle espérait tromper l'oeil aiguisé de son "ennemi" pour le retourner à son avantage. Et si l'autre garde réussissait à la retrouver, une orpheline morte ou évanouie ne pouvait servir à quelque chose...

* Sh*t de fourmis rouges rampantes -_-' *

Soudain, elle se retourna. On pouvait lire sur ses vêtements et sur sa chair, les traces d'un combat récent. Sa joue droite était un peu enflée, mais pas autant qu'un homme atteint de l'éléphantiasis (qui est l'augmentation très importante du volume d’un membre ou d’une autre partie du corps...).

Elle avait également le teint cadavérique, accentué par les ombres de ce bois qui faisait ressortir la moindre source de blanc potentiel. Ses paupières étaient soigneusement fermés, nul mouvement d'oeil n'était visible.

D'un coup, mué par l'énergie du désespoir sans doute -ou de la rage-, elle ouvrit en grand ses yeux, étreignit un de ses pieds entre ses mains sales et le tira vers elle. Il bascula donc à côté d'elle et...aussi souple qu'un chat, bondit sur son ventre, tenant fermement ses bras à terre pour pas qu'il bouge. On aurait dit qu'elle avait la force de cent hommes mais bien évidemment, cela n'était que subjectif...Son visage se pencha un peu en avant, et elle lui murmura à l'oreille, ses longs cheveux glissant sur les joues de l'adversaire :

"Exact, messire...le cinéma est ma passion, la comédie encore plus. Et si un de tes compagnons de chiens galeux débarque ici, il suffit juste de lui dire que tu as vu aucune fille passer par ici. C'est soit ça, soit ton prochain job à vie sera d'être...eunuque. Okay ?"

De très loin, elle entendait les pas de l'autre poursuivant qu'elle venait de semer, se rapprocher sûrement. Le truc c'est qu'elle n'était pas du tout en position de force, mais bon. Qui ne tentait rien n'a rien ! et elle ne désirait pas finir comme ces pauvres filles soumises à vie et au service d'un de ces bons à rien. Puis, comme si de rien n'était, elle s'assit en tailleur sur son ventre, les bras croisés et l'air pensive.

" Dis...tu ne connaîtrais pas par hasard le premier endroit auquel un garde pense...s'il vient de capturer une orpheline ? "

Elle dirigea son regard fiévreux par la course sur cet homme, sans même se préoccuper s'il était effectivement dangereux...

Alors, voyant qu'il n'était pas très bavard et qu'effectivement, son sourire amusé l'avait un peu destabilisé, une légère moue boudeuse s'afficha sur son visage. Les sourcils légèrement froncés, la jeune orpheline semblait réfléchir dans les yeux de son adversaire. Elle y voyait son reflet à l'intérieur de ses pupilles, et esquissa un O d'indignation digne d'une scène tragique. Elle toucha de ses doigts la partie gonflée, tout en se penchant davantage pour se mirer dans le regard de l'homme.

" Mince alors... " souffla-t-elle doucement, constatant la gravité de la situation. Son si beau visage avait été ravagé par une droite qui l'avait mis K.O il y a quelques minutes. Celui-là payera pour son crime ! Du moins, le temps pour sa joue de se dégonfler...Un peu de glace et ça fera l'affaire.

" Bien messire. J'irais de mon propre chef, puisqu'il ne servira à rien de vous torturer..."

*Mais si, vas-y torture-le ! allez tu peux le faire Ad !*

Son sourire amusé ne l'énervait pas. En fait, elle ne faisait pas tellement attention a l'air adopté par ce jeune adulte, mais plutôt à ses paroles. Ainsi était-il muet comme une tombe. Bien, elle pourrait trouver un sarcophage et le mettre dedans, ensuite creuser cette fameuse tombe...

D'un autre petit bond, Adeline se mit sur le côté...les pieds désormais sur la terre ferme. Elle s'époussiétait minutieusement, mais son ouïe infaillible l'avertit du rapprochement du garde. Soudain, elle se cacha dans un buisson, en entendant les CRAC, les CRIC et les SCROUIC qu'émettaient les branches sèches sous un poids lourd. C'est alors qu'une ombre d'une aura malfaisante se rapprocha du lieu où se trouvait les deux protagnistes. C'était Will le sadico-pervers à la recherche de cette sauvageonne...

La jeune orpheline, de là où elle était, fit un petit signe à Sawyer, comme quoi il ne devait surtout pas la moucher...

*Ca c'est la meilleur ! comme si on pouvait faire confiance à l'un d'entre eux...xD*

C'est sûr que là elle risquait gros, surtout que ce sourire ironique de ce messire ne disait rien qu'y vaille.

Heureusement, il choisit la bonne option : la laisser et...tester ses réactions. Allons donc ! pourquoi diable voudrait-il la tester même si c'était un de ses passe-temps favoris ! Bah ! Il avait sûrement une autre bonne raison de le faire, comme tous ceux qui excellaient dans cet art de tester les autres. Le problème était que ... 2 testeurs ensemble ... ne faisaient pas bon ménage.

Adeline était désormais bien cachée derrière le feuillage; le garde accourra dans un boucan pas possible, provoquant à sa suite la fuite de plusieurs oiseaux dans le ciel. Will était grand et balèze...Néanmoins, qui dit costaud dit rien dans la caboche; l'apparence ne fait pas le moine, mais la première impression est souvent la bonne. Toujours camouflée derrière le taillis imposant, elle entendit leurs paroles échangés, tout en observant les jambes des deux hommes. Elle se fit aussi silencieuse que possible, même si l'impression que des insectes grimpaient le long de sa nuque était persistante...même si elle avait l'envie pressante de dégager son sinus d'un ATCHOUM bien sonore...

" T'aurais pas vu une fille courir avec un joue gonflee???" fit le grand baraqué à la voix de ténor

"hum...Tu crois pas que si je l'avais déjà vu je me serais pas occupé d'elle?" répondit ce jeune homme du tac-au-tac. Au moins avait-il cette faculté d'avoir un minimum de répondant.

Puis le garde, déçu de la réponse de Sawyer, ne chercha pas plus loin et repartit en sens inverse. Il ajouta quand même sur un ton paysan, avant de filer :

"Si tu la vois, hein, tu n'la lâches pas d'une semelle, hein !! L'est terrible c'te garce !"

**+**

Quelques instants plus tard, l'on entendit un éternuement provenant du buisson, avec pour conséquence le mouvement futile de quelques feuilles dans les airs. Adeline ne pû se retenir plus longtemps, la démangeaison fut bien trop forte ! Elle sortit soudain de sa cachette tel un clown de boîte magique...avec les deux mains plaqués sur le bas de son visage.

"Merci...mais je suppose que ceci signifie un échange à la place ? Allons, je suis sûre que tu as quelque chose derrière la tête ! Tous ici ne sauve quelqu'une qu'en échange d'une contrepartie...Allez, dis ce que tu veux et ça ira plus vite !"

Elle était très curieuse de connaître la raison de ce geste généreux. Bah ! elle n'était pas dupe ! Ici, la solidarité et la générosité des hommes étaient une valeur monnayable...S'il désirait quelque chose, qu'il le dise tout de suite. De plus, elle n'avait pas de temps à perdre, il lui fallait sauver cette autre jeune fille des sales pattes du bourreau. Et s'il ne voulait pas lui dire le lieu exact où les cris et les gémissements des orphelines sont le plus jouissifs pour ces salops, elle ne resterait pas ici à attendre que le soleil se lève. Elle croisa alors les bras, quelques doigts tapotant sont avant-bras en signe précurseur d'impatience.

"Alors ?"

"............."

Le sang d'Adeline ne fit qu'un tour. L'indifférence de cet homme si tranquille, si zen, si...tellement si ! l'acheva entièrement. Elle resta aussi figée qu'une plante de décoration, en même temps qu'il s'éloignait. L'indifférence était vraiment pire que tout ! Et si en plus, il se doutait qu'il allait l'énerver de cette manière, c'était vraiment réussi ! Elle ne le montra pas, Oh ! non...elle baissa juste son menton sur son haut poussiéreux, sa chevelure d'ébène lui cachant la moitié de son visage.

"Des instants de générosité...Ho ! je suis touchée..."

Elle se mit à respirer lentement pour se calmer, et aussi pour éviter ce maudit fou rire nerveux. A vrai dire, personne n'avait eu le cran de lui tenir tête rien qu'en lui balançant en pleine face ce genre de phrase d'un ton indifférent. Peut-être qu'il ne le voyait pas ainsi, mais cette petite phrase suffit à éveiller sa légère susceptibilité.

"Raaaah !!!"

Elle lança un point rageur dans les airs, et accourut à la suite de Sawyer. Elle détestait ça, le fait de devoir le rattraper. Habituellement, on courrait après elle et non le contraire.

"Atta atta ! où vas-tu comme ça ! tu me laisses toute seule ? et si un autre garde revenait hein ?? et si un ours me mangeait toute cru ? et si un loup surgissait de ce buisson pour ouvrir sa gueule puante sous mon nez ??"

Tout ce qu'elle disait était incompréhensible mais bon...Il était étrange de constater que parmi ces gardes, il y en ait au moins un qui soit bien plus tempéré que les autres. D'ailleurs, par simple curiosité, elle le lui demanda :

"C'est bizarre mais...tu n'es pas comme tous les autres...La violence verbale serait-il ta spécialité ? Sinon...vraiment, si tu n'es ni persécuteur, ni bourreau...je ne vois pas du tout ce que tu pourrais faire à l'orphelinat"

* En plus il se fait désirer...non mais il se prend vraiment pour l'Empereur ou quoi xD ! *

Adeline était frustrée...terriblement frustrée. Et cela se démontra par une rougeur vive sur ses joues, qu'elle essayait en vain de refroidir. Tant pis...de toute façon, il n'y aurait personne pour lui faire ce genre de remarque habituelle du style "Ho Adeline, tu es toute rouge ! c'est sûrement le soleil qui doit taper fort !" alors qu'il n'y avait aucun soleil à l'horizon, et que cette teinte vive était simplement due à ce...bouillonnement intérieur.

" Tant mieux…Profites-en un jour, tu regrettera ce moment ou je t’ai fait une faveur… " avait-il dit, d'un ton toujours aussi ironique selon elle. Regretter ? En quoi allait-elle le regretter ? Il avait l'air nullement violent ni brutal, et Adeline se sentait totalement à l'aise, sans craindre des représailles de sa part. Qu'il la prenne par surprise, il aura bien un petit cadeau en retour. Elle avait ses ongles comme offensive, ses poings comme défense inébranlable et ses pieds pour faire les deux. En plus, il avait juste l'air d'un je-m'en-fous-de-toi, plutôt d'un individu ayant des prédispositions accrues vers le sadisme. Tiens ! en parlant de sadisme, Adeline n'avait toujours pas démontré ses talents en la matière. Et si elle commençait par lui ? L'idée lui traversa sa petite cervelle, mais disparut aussitôt dans les méandres de son imagination dispersée.

Néanmoins, il avait tout à fait raison. Où il allait ne la regardait pas du tout, et de la part d'une orpheline...suivre un garde serait un peu curieux. Son air moqueur toujours visible sur son minois de jeune prétendant, elle esquissa juste un petit sourire sur ses lèvres purpurines, un sourire qui admettait la véracité de ses paroles, mais aussi autre chose. Une certaine moquerie apparente à son égard, du fait par ses paroles prétentieuses. Allons donc ! Môssieur qui a plusieurs facettes ! C'est une mode d'avoir plusieurs personnalités ou quoi ? Non, elle ne le pensait pas ainsi...il semblait bien trop sûr de lui, que la surprendre serait de relever un vrai challenge. Adeline en avait tellement vu dans cet orphelinat que tout ou presque la rendait indifférente. C'est pour cela que la peur chez elle, était quasi inexistante...

Mais elle demeura silencieuse à ses propos. Elle le suivit quand même, les mains dans les poches et son petit sourire...d'un air de dire "hé oui ! Désolé mais j'te collerais aux basques jusqu'à ce que tu craques! jusqu'à ce que tu m'implores à genoux pour que ce petit manège cesse enfin !" , tandis qu'il continuait de dériver vers le manoir. Où allait-il ? Là était la question ! Mais avait-elle réellement une idée derrière la tête à son sujet ? la question ne se posait pas, car il était encore trop tôt. Cependant, elle ne résista pas à une dernière vanne provenant de sa petite boîte à malices. Elle se mit à marcher plus vite, jusqu'à le rattraper bien qu'il eut fallu fournir plus d'efforts que de coutume. Arrivée à mi-épaules, elle lui lança avec son regard moqueur et faisant mine d'époussiéter son vêtement et en lui réajustant ses cheveux d'une manière un peu trop familière. Bien sûr, c'était fait exprès.

"Ho mon bon monsieur, je voudrais tant les connaître ! je vous implorerais même messire, à genoux devant vous, de me faire une démonstration de vos talents cachés..."

Un rire mélodieux traversa les murs de sa bouche, se répercutant comme un rapide écho à l'intérieur du bois. Puis elle remit tranquillement ses mains dans les poches, avant de se mettre à courir vers la sortie de cet endroit. Après tout, il l'avait sauvé, évidemment. Et rester ici à chercher le fond même de cet homme n'était rien à l'équivalence de la vie d'une orpheline. Mais avant de partir, elle tourna une dernière fois la tête vers sa direction, lui rappelant que :

" Mais qui vous dit que j'ai la moindre envie de vous connaître, messire ? surtout qu'avec toutes vos facettes, ce serait trop difficile pour moi ! Après tout, je ne suis pas psychologue..."


[ Salle de tortures]